Grands sites, contes et songes
Ce sont les premiers jours de l’été et Baptistou, le berger de Campan, a pris le chemin des estives avec son troupeau de Gasconnes – vous savez ces belles vaches à la robe claire et aux yeux naturellement …maquillés -. Ce jour-là, il a amené avec lui une vingtaine de gens de la ville, de Tarbes et de ses environs, qui voulaient accompagner la transhumance. Elle est revenue à la mode et les urbains se transforment en ruraux. Oh, il y en a de tous. Ceux qui font ça parce que ça fait bien et qu’ils pourront le raconter avec dans la voix une certaine condescendance. Et puis les autres, les amoureux de la nature et…des hommes, les sincères, les authentiques, ceux qui aiment l’authenticité, même s’ils ne parlent pas tous le gascon ou le baragouine quelque peu. Ce sont ceux-là qui accompagnent Baptistou et Alain. Alain Isla, un petit type, pas trop sec (il doit aimer la garbure), leste, aux yeux vifs derrière ses lunettes, qui en a sous le béret et dans la poitrine…à gauche, là où ça fait «boum-boum». Alain, il va nous raconter, pardon, nous conter, l’histoire de cette vallée de Campan – « la plus belle du monde », selon lui – de ses femmes et de ses hommes, de ces êtres, mi-humains mi-bêtes, qui ont existé puisqu’ils ont disparu ! L’idée de cette randonnée avec Baptistou et Alain a germé dans les têtes de Pierrou et de son frère Miquelou, amis d’Alain, passionnés de la Bigorre, de ses montagnes, de ses chemins, de son histoire et de son terroir (je me souviens avoir échangé quelques recettes de haricots tarbais avec Miquelou quand nous étions…gabelous !).
Laissons-nous guider par la voix et la musique d’Alain, nos regards captivés par les forêts de sapins, les sommets, les abrupts, les couloirs, les «serres», les «courtaous» (1), les prairies. Une palette de verts, sous un ciel bleu…pyrénéen, sous un soleil qui d’abord vous réchauffe, puis… vous chauffe. Comme envoûtés, on ne sait plus distinguer conte et réalité. C’est le songe d’une journée à Sarrède.
Depuis les hauts de Sarrède, Baptistou, aperçoit son ami Guilhem mener ses brebis là-bas dans les courtaous du vallon d’Arize, sous la protection du Pic – ah, il faut que je précise : le Pic du Midi de Bigorre, car pour nous il n’y en a qu’un seul, le nôtre et c’est le plus beau du monde, n’est-ce-pas Alain ! Tu piges ? -. On aperçoit, au lointain les cabines du téléphérique qui montent depuis la gare de la Mongie vers le vaisseau des étoiles. Ce Pic si proche qui sera dans l’après-midi ouaté par un nuage inoffensif.
Guilhem et Baptistou ont quitté leurs maisons et leurs belles à l’aube. C’était pleine lune, quand la nature dort encore, bercée par une sereine quiétude. Ils sont montés à la fraîcheur du petit matin des vallées de Gripp et de Campan. Guilhem semblait entendre le murmure de l’Adour, là où il avait rencontré Stella – son étoile, sa vie – dont il était éperdument amoureux et qu’il ne reverrait pas avant la Saint Martin. Ils ont d’abord emprunté la route, celle qui mène à Sainte Marie. Dans la dernière et raide montée qui y conduit ils sont passés devant la forge où Eugene Christophe, le courageux coureur cycliste, répara la fourche de son vélo qu’il avait cassée en descendant le Tourmalet dans la fameuse étape Luchon – Bayonne du Tour de France 1913 (poursuivi par la poisse, il n’en gagna aucun !). Ils se sont séparés. Baptistou et son troupeau, accompagnés des gens de la ville » est monté par le Sarrat de Gaye. Ils ont laissé un large chemin pour emprunter un sentier qui part depuis trois granges foraines (2), où la tôle bac-acier a remplacé le chaume mais où sont maintenus les « penau », ces lauzes posées aux extrémités du toit. Non, ce ne sont pas des marches pour monter au faîte. Inclinées vers l’extérieur, elles avaient pour fonction de chasser l’eau de pluie et d’éviter ainsi le pourrissement prématuré du chaume – pas cons, nos anciens ! -. Guilhem, lui, a poursuivi par des chemins jusqu’à Artigue, puis par des sentiers jusqu’en dessous le col d’Aouet.
Baptistou est installé dans sa cabane de berger, à Sarrède. C’est Alain qui, avec quelques-uns de ses élèves, l’a aidé à la remettre sur pieds. Ils l’ont faite comme autrefois : couverte d’épaisses lauzes, elle abrite une toute petit pièce où l’on peut dormir sur un bat-flanc (la fougère a-t-elle été remplacée par un matelas en mousse ?), se faire à manger et se chauffer. Là, point d’âtre et de cheminée. Un simple et petit foyer de pierre à l’angle, un trou dans le mur pour faire sortir la fumée (un « tiro-hum »).Depuis la cabane on embrasse, plus qu’on domine, ces vallées de Gripp et de Campan où l’on distingue les prés, les champs qui côtoient les maisons couvertes, pour la plupart d’ardoises.
Mais la montée depuis le sarrat de Gaye, certes courte (à peine une petite heure) a creusé les estomacs. La beauté de ce site, modeste par ses 1400 mètres d’altitude mais grandiose par son emplacement, la parole captivante et les musiques enjouées d’Alain n’ont pas apaisé notre faim ! Ouvrons nos sacs et entamons le pique-nique. Commençons tradition, par…l’apéro. Patou – pas le chien, insolent !, mais Patrick – a amené cet élixir venu du Midi qui, avec de la merveilleuse eau de source de nos montagnes vous désaltère en même temps qu’il vous tourne un peu la tête, surtout s’il est suivi par un bon rosé bien frais ! Il fallait ça pour arroser l’excellent gâteau au chocolat – non ce n’est pas du boudin ! – élaboré par notre hippocrate, Marie-Cécile.
Certains et certaines auraient bien fait une petite sieste. Je lis dans ta tête : qu’imagines-tu ! Chacun et chacune sous son sapin. Mais non, il faut repartir. Alain et sa compagne Cathy conduisent les plus curieux vers les hautes estives. Oh, la pente est…raisonnable, le sentier bien tracé, trop tracé parfois par les sabots des vaches qui se sont ingéniées à le transformer en mini montagnes russes. Au bout de demi-heure nous atteignons une sorte de belvédère (et oui, il n’y en a pas que dans les calanques !). Le Pic veille toujours sur les vallées et la plaine, en face, de l’autre côté de la vallée on aperçoit le « Bassia de Hèches » et son antenne (pour les bons yeux), en poursuivant sur la droite, le col d’Aspin ouvre sur la vallée d’Arreau et ses sommets, à nos pieds Payolle s’offre aux promeneurs et aux visiteurs («visiteurs», c’est quand même plus élégant et moins connoté que «touristes»).
Baptistou va rester là-haut, chez lui, dans sa montagne, avec ses bêtes. Nous redescendons, d’aucuns diront à tort vers la civilisation. Je dirai vers l’urbain. Car là-haut c’est peut-être la source de la civilisation. Je ne sais pas, vous, mais moi j’ai besoin d’aller me ressourcer, de prendre du recul, la mesure de ce que nous sommes, de notre équilibre intérieur, de notre rapport à la nature, à l’autre – je suis l’autre -. J’en ai besoin pour comprendre et pour me comprendre. De retour, j’apprends les horribles attentats chez nous, en France et en Tunisie. Plus que jamais, le monde a besoin de sagesse.
Adischatz.
Bernatou
26 juin 2015