Mardi 3 juillet
Grands sites, contes et songes – deuxième période
conte, songe et la réalité mêlés dans les flots de l’Adour
«Les génies ont disparu, c’est la preuve qu’ils ont existé» (Alain Isla, conteur bigourdan)
Un génie existe toujours, le génie de l’humanité. Même si sa flamme vacille sous les tempêtes du monde des comptables, même si le doute trouble les esprits, il appartient aux femmes et aux hommes de notre planète de le protéger, de le sauvegarder, de lui assurer la pérennité. «Plus que jamais, le monde a besoin de sagesse», concluions-nous ce 26 juin 2015, de retour de la randonnée à Sarrède, dans cette magnifique vallée de Campan – «la plus belle du monde» aux yeux d’Alain Isla et de Cathy son épouse (et peut-être sa muse !) dont beaucoup d’entre nous faisions alors connaissance -. C’est, sans doute confusément, comme un «non-dit», le sentiment qui ressort de cette nouvelle randonnée dans la «Bouche» (1) de Campan, guidée par Cathy, sous la romance des contes d’Alain.
Nous ignorions (du moins, la plupart d’entre nous), que le pont qui saute l’Adour, à l’entrée de Campan en venant d’Asté par la rive droite du torrent-fleuve, se dénommait «le pont des cagots» comme le chemin «des charpentiers» qui remonte le long de cette rive conduisait aux habitations de ces «parias» parqués de ce côté-là. C’était l’apartheid des temps anciens…Ces braves (osons le qualificatif !) gens, étaient victimes, à Campan comme ailleurs en Gascogne, de toutes les exclusions dont les causes sont autant diverses qu’incertaines : lépreux est celle la plus communément admise, ce qui les cantonnait aux seuls travaux du fer et du bois ; sinon celle de peuple « goth » auquel on aurait ajouté le préfixe «ca», terme occitan qui signifie «chien», ou encore ce terme de «cagot» désignerait des protestants renégats) constitue également une hypothèse d’explication. Mais, certains d’entre eux furent admis dans la communauté campanoise après avoir accompli des exploits, auxquels eux seuls, semble-t-il, pouvaient parvenir. Ce fut le cas de Bertrand et de sa désirée Blanca, qui débarrassèrent le village d’un monstre qui faisait un carnage dans les troupeaux de brebis, effrayait les bergers quand il ne les agressait pas. On dit, dans la vallée que, mortellement blessé, il s’en alla mourir dans les eaux du lac d’Aygue rouye (les eaux rouges). En écoutant Alain (2), mon esprit vagabond (rebelle, quelquefois) ma rappela ce jeune malien, sous le coup d’une expulsion du territoire français, qui sauva de la défenestration un jeune enfant et fut ainsi admis à régulariser sa situation et à demeurer en France. Mais, «cric et crac» bien sûr, ce ne sont là que des extrapolations, voire des élucubrations de l’auteur de ces lignes.
Avant que le lecteur ou la lectrice ne me reproche mes disgressions, j’en viens, non pas au compte-rendu (inapproprié et désobligeant pour «la plus belle vallée du monde») mais au récit de cette «ballade» qui avait davantage le caractère d’une randonnée montagnarde que d’une gentille balade.
En effet, passé le pont sur les eaux vertes de l’Adour, nous comprîmes immédiatement que Cathy n’était pas la femme des platitudes ! Nous montâmes, donc, sur un sentier ombragé bordé de buis. Mais, Alain et Cathy ne sont pas des stakhanovistes de la rando ! Ils veillèrent à ce que cette petite troupe d’une vingtaine de….jeunes et décidés seniors (3) suivent et parviennent toutes et tous à la fameuse «fenêtre». Pour nous motiver, Alain tenta de nous transformer en ours, comme l’avait fait ce merveilleux génie de ce jeune homme alangui et triste de la fuite de cette jeune fille aperçue sur les bords de l’Adour, qu’il retrouva ensuite, toujours par la force de cet esprit, pour le bonheur des jeunes gens et la prospérité des campanois. Sur la fin, nous gravîmes plus que nous ne montâmes quelques éboulis et nous arrivâmes, toutes et tous, à la «fenêtre». Là, chacune et chacun reprirent leur souffle et nous nous regénérâmes grâce à un apéritif très particulier. Le replat et quelques restes de blocs et escaliers en ciment (du temps de la construction de la conduite forcée qui amène l’eau à Beaudéan) se transformèrent en un théâtre d’altitude. Nous prenions de la hauteur, au-dessus de cette vallée de Campan et de ses quartiers, Saint Roch bien visible, Galade, Rimoula, Cayre de By devinés plus qu’aperçus un peu plus haut vers Sainte-Marie de Campan. En face la Hount Blanque et le Montaigu se coiffaient d’un vaporeux voile blanc sous les auspices de notre Pic - le seigneur des Pyrénées ! - .
En de tels lieux et en de telles circonstances les banalités sont proscrites, méconnues, ignorées. Et la ballade d’Alain reprit, les notes de sa corne-pipeau ponctuant les mots contés. Contes, rêveries, songes… C’est d’abord, Estève qui chagriné et dépité, de voir sa vallée rabougrie, ses herbes rases et séchées par le soleil, ses brebis faméliques, implore ce colosse de génie, qui d’un coup de trident dans la montagne fait jaillir les trois sources qui donneront l’Adour et assureront la prospérité de la vallée et de ses paysans. Puis, les légers nuages deviennent Marie et son amoureux que les parents ont éloignés l’un de l’autre car le jeune homme vient d’une famille pauvre, sans dot. La sollicitude du bon génie les fera se retrouver et leur union sera finalement acceptée de part et d’autre à tout jamais. Vous ne trouvez pas que ces contes aux accents poétiques révèlent quelques vérités, toutes simples et toute contemporaines ? La sagesse vous dis-je !
Après nous être nourris à la façon du «mens sana in corpore sano» (4), nous nous engageâmes, toujours à travers les buis, sur un sentier où la pierre roule sous les pieds, dans la descente vers Campan, laissant pour une fois prochaine la montée vers le col du Teilhet et Ordincède. Cette coquine de Cathy ne nous avait pas tout dit ! Après une heure de marche, elle nous annonça : «le sentier est en dévers, il est équipé d’un câble sur la droite qui vous servira de rampe.». Précautionneuse et soucieuse de ramener sans écorchures son équipée à bon port, elle plaça Cédric, ce jeune-homme charmant et attentionné aux endroits critiques. Et le passage fut franchi de «pied de maître» !
Tout effort mérite, récompense. Même pour celles et ceux qui n’ont pas consenti à l’ultime, à savoir atteindre, en gravissant un court éboulis, l’entrée d’une grotte et y pénétrer soit pour les techniciens de la grimpe par quelques pas de désescalade, soit pour les curieuses et curieux ignorant cette technique, une descente….sur les fesses. Alain, magnanime, n’établissant pas de hiérarchie entre quelques intrépides et celles et ceux dont les mollets regimbaient de fatigue, nous conta l’histoire (écrite par Cathy) de Coline et Margalide, ces deux gentilles et crédules fées, qui désobéirent au monstre qui occupait la grotte, livrèrent le secret aux jeunes campanois, et furent transformées, l’une en couleuvre et l’autre en vipère. Mais, rassurez-vous, personne ne fut mordu et tout le monde put rentrer chez soi, sain et sauf, quelques-unes et quelques-uns plus fourbus que d’autres, enchantés par ce deuxième épisode de «Randonnée dans les Grands sites, contes et songes». Et dans l’attente du troisième.
Amies marcheuses et amis marcheurs de la boucle de «La Bouche», vous l’avez fait ! Vous avez effectué les 539 mètres de dénivelé positif et les 6 heures de randonnée avec entrain et bonne humeur. Chaleureuses félicitations à vous ! Voilà qui est de bon augure pour l’avenir !
Et à vous, Alain et Cathy, «pla merci», les amis. A bientôt de vous revoir.
Adishatz
Tarbes le 4 juillet 2018
Bernatou
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«La Bouche» : vient du mot patois «bouch», buis en français, versant exposé au sud de la vallée de Campan, couvert de buis et de végétation méditerranéenne.
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Le but de ce texte n’est pas de vous raconter la totalité des contes d’Alain que vous trouverez sur son site internet : Alain Isla,conteur.
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Seniors : ici, dans le texte synonyme de seigneurs, ça va de soi !
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«Mens sana in corpore sano» : un esprit saint dans un corps sain, citation du poète romain Juvénal, repris par Pierre de Coubertin